l'Incertitude (Faire avec)

Récit

251205 adaptations l Incertitude 2

Il existe deux grandes catégories d’actions en matière d'écologie. La première, c’est celle de l’atténuation : agir sur les causes pour minimiser les conséquences, réduire l’impact pour infléchir les courbes et se positionner sur des trajectoires moins pessimistes. En France, pendant des années, on a misé sur l’atténuation pour « lutter contre » le changement climatique – comme s’il s’agissait d’une bataille qui pouvait être gagnée. Mais il n’en est rien. Les phénomènes à l’œuvre le sont depuis trop longtemps et se potentialisent les uns les autres, et le déphasage qui leur est inhérent ne permet pas de retour en arrière : ce que nous vivons aujourd’hui est la conséquence des décisions (ou non-décisions) prises hier ou avant-hier, et celles que nous prenons aujourd’hui n’auront de résultats que demain ou après-demain… au mieux. Dorénavant, le dérèglement est là ; tous les scénarios du GIEC prédisent une augmentation des températures quelles que soient les mesures qui seront mises en place. La deuxième catégorie d’actions est donc l’adaptation. Bien sûr, il faut continuer à faire notre maximum en matière d’atténuation, gagner en énergie grise, en carbone..., pour se placer sur les moins mauvaises trajectoires. Cependant, le temps est venu de nous « adapter » à l'irrémédiable.

Cette nouvelle donne constitue un véritable changement de paradigme. Jusqu’alors, on demandait aux acteurs de la ville d’être de bons « perspectivistes », pour être capables de représenter la réalité à venir de la façon la plus fidèle possible, à partir des données connues du passé et du présent – puisque celles de l’avenir, du point de vue du climat et de l’environnement tout du moins, avaient toujours été plus ou moins les mêmes. Aujourd’hui, nous devons devenir de pas trop mauvais « prospectivistes », dans le sens d’anticiper le moins mal possible les conditions d’habitabilité futures, à partir des données pas totalement connues mais en partie connaissables de demain.

Cette approche oblige à de nouvelles modalités de travail, pour composer avec l’incertitude. Elle demande de travailler à partir d’hypothèses, de chercher un consensus sur le « projet » de futur sur lequel s’aligner collectivement ; elle demande de développer une culture de l’évaluation temps réel pour opérer les ajustements qui pourraient s’avérer nécessaires, voire les revirements ; elle nécessite enfin la rencontre d’acteurs de disciplines diverses pour croiser les regards et les expertises, car nul, de son seul point de vue, de sa seule place et de sa seule temporalité ne peut embrasser la complexité des phénomènes à l’œuvre.

Faire avec l’incertitude donc. Cette nouvelle donnée d’entrée de la fabrique de la ville comporte une part certaine d’inconfort, de « mise en danger » - ne serait-ce que parce qu’elle n’est pas dans notre culture, qui s’accommode mal de la prise de risque, comme le prouve notre régime assurantiel. Elle peut devenir néanmoins un véritable champ d’investigation et d’invention, au plus près d’un réel en mouvement. Et nous inciter à rester « alerte », posture essentielle face aux bouleversements à l'œuvre.

  • Contribution

    Issue du livre "Les 101 Mots de l'Adaptation, à l'usage de tous", sous la direction de l'Atelier Franck Boutté

  • Titre

    l'Incertitude (Faire avec)

  • Auteurs

    Franck Boutté, président, et Alix Derouin, direction de la communication et du développement à l'Atelier Franck Boutté

  • Éditeur

    Archibooks

  • Date de publication

    2025

  • Pages

    176 pages

  • Illustration

    Sébastien Hascoët