Économie
Narrative
Adapter nos villes et nos territoires au climat de demain n’est pas qu’une question technique : c’est un défi économique. Le système économique de l’adaptation désigne l’ensemble des mécanismes — financiers, institutionnels et culturels — qui rendent possible, dans la durée, cette transformation. L’enjeu est de faire passer l’adaptation du registre du coût à celui de la valeur : reconnaître qu’investir aujourd’hui, c’est éviter des pertes demain. Une canopée urbaine, un réseau d’eau résilient ou une digue ne sont pas des dépenses, mais des assurances contre les canicules, les inondations ou les sécheresses à venir.
Pour que ces investissements deviennent soutenables, il faut inventer des modèles économiques adaptés. Passer d’une logique de dépense ponctuelle à une logique de service permet de lisser les coûts et d’attirer des financements privés. Une toiture végétalisée peut ainsi être gérée non comme un chantier isolé, mais comme un service de rafraîchissement et de biodiversité — un cooling as a service — entretenu dans le temps. Une digue mobile peut être financée sur plusieurs décennies à travers un contrat de disponibilité. Ces approches font émerger une véritable économie de la résilience, où les co-bénéfices — santé, confort, attractivité, valeur immobilière — prennent enfin un poids économique.
Les assurances jouent ici un rôle clé : chaque euro investi dans l’adaptation réduit les sinistres futurs et peut se traduire en primes plus basses. Certaines compagnies expérimentent déjà des resilience bonds, qui associent investisseurs et collectivités : si la catastrophe est évitée, la prime économisée sert à rembourser les travaux. L’adaptation entre ainsi dans le langage financier, où la valeur du futur se traduit en flux du présent.
Mais ces modèles demeurent enfermés dans un système économique qui, lui, reste largement fondé sur le court terme. Hérité d’un capitalisme extractif, il privilégie la rentabilité rapide et une consommation de ressources qui a déjà dépassé plusieurs limites planétaires : climat, biodiversité, sols, eau, pollution. Or, adapter une société avec les outils qui ont provoqué sa vulnérabilité serait un paradoxe. Construire des digues, transformer la ville, renforcer les réseaux — tout cela consomme du béton, du cuivre, de l’acier. Si l’adaptation reproduit la logique qui a créé la crise, elle ne fera que la déplacer.
Réussir l’adaptation suppose donc de repenser le système lui-même : élargir la notion de valeur, renforcer la gestion collective des ressources, intégrer les écosystèmes dans nos institutions. Certains pays ont déjà reconnu des droits à des fleuves ou à des forêts, affirmant que la nature peut être un sujet de droit. Imaginer demain la Seine ou le Rhône défendre leur survie devant la loi, c’est admettre que l’adaptation ne se joue pas seulement dans les bilans financiers, mais dans nos règles du jeu collectif.
Contribution
Issue du livre "Les 101 Mots de l'Adaptation, à l'usage de tous", sous la direction de l'Atelier Franck Boutté
Titre
Économie
Auteur
Elie Getz, directeur général de l'Atelier Franck Boutté
Éditeur
Archibooks
Date de publication
2025
Pages
176 pages
Illustration
Sébastien Hascoët