Îlot de chaleur

Narrative

251205 adaptations Ilot de chaleur

Étudié depuis plus de deux siècles, l’îlot de chaleur urbain (ICU) connaît un regain d’intérêt récent. Alors qu’entre 1990 et 2000 une trentaine d’études étaient publiées chaque année, leur nombre dépassait les trois cents en 2015. Son intégration en 2019 parmi les indicateurs de performance pour les villes résilientes de la norme ISO 37123 illustre cet essor.

Aujourd’hui, lorsqu’on parle d’adaptation au changement climatique, les îlots de chaleur sont presque systématiquement abordés, souvent dans une acception négative. En effet, le phénomène est couramment précédé de la formule « lutte contre », ce qui le présente comme un ennemi à abattre. Cette croisade paraît justifiable au vu des images qui lui sont accolées : un endroit particulièrement chaud de la ville, un facteur de dégradation du confort urbain, un amplificateur des vagues de chaleur, un risque sanitaire pour le vivant, ou encore des « tâches rouges » figurant sur les cartes des simulations microclimatiques. Pourtant, ces représentations s’éloignent de sa définition scientifique : on en vient à condamner un concept à partir de ce qu’il n’est pas.

Scientifiquement, un îlot de chaleur urbain se définit comme la différence entre la température de l’air en ville et celle d’une zone rurale ou naturelle environnante. Le phénomène est permanent, mais son intensité varie selon les saisons et les moments du nycthémère. Or, si la hausse de la température de l’air accroît la vulnérabilité des populations lors des épisodes caniculaires, elle améliore en revanche le confort hivernal et réduit les besoins de chauffage. Occulter ces bénéfices conduit à une analyse incomplète. Même en se limitant à une étude estivale, un malentendu persiste : réduire l’îlot de chaleur n’implique pas nécessairement une amélioration du confort de vie ni une baisse de la consommation énergétique en ville. En effet, l’un des moyens les plus rapides et les moins coûteux de diminuer son intensité consisterait à… incendier les campagnes environnantes ! La ville deviendrait alors un « îlot de fraîcheur », tandis que les conditions de vie de ses habitants se détérioreraient et que les besoins de climatisation augmenteraient. Cet exemple, volontairement absurde, est pourtant exact d’un point de vue mathématique : on peut réduire l’écart entre deux configurations en agissant sur l’un ou l’autre des termes de la soustraction. Autrement dit, abaisser la température en ville ou augmenter celle de la campagne constituent, en théorie, deux stratégies également efficaces pour réduire un îlot de chaleur. Si une réponse absurde s’avère correcte, c’est la pertinence de la question qu’il faut interroger.

Ainsi, l’objectif des villes ne devrait pas être la « réduction de l’îlot de chaleur urbain », mais la maîtrise de la surchauffe estivale et le confort de ses habitants. Tant que les concepts se confondront, les politiques d’adaptation viseront l’indicateur plutôt que le bien-être. La précision des mots conditionne celle des actions.

  • Contribution

    Issue du livre "Les 101 Mots de l'Adaptation, à l'usage de tous", sous la direction de l'Atelier Franck Boutté

  • Titre

    Îlot de chaleur

  • Auteur

    Matteo Migliari, expert référent en biométéorologie et microclimatologie urbaine à l'Atelier Franck Boutté

  • Éditeur

    Archibooks

  • Date de publication

    2025

  • Pages

    176 pages

  • Illustration

    Sébastien Hascoët