Pharmakon

Narrative

251205 adaptations Pharmakon

Pour adapter les espaces urbains au réchauffement climatique, certains ingrédients sont connus : végétaliser, éclaircir les surfaces urbaines et favoriser la ventilation naturelle. Ces leviers, très médiatisés, sont aujourd’hui au centre des stratégies d’aménagement. Les végétaux rafraîchissent par évapotranspiration, renforcent la biodiversité, filtrent l’eau, stockent les pluies, dépolluent l’air et, pour les arbres, procurent de l’ombre. De leur côté, les surfaces claires limitent l’absorption du rayonnement solaire, ce qui contribue à abaisser la température de l’air. Quant à la ventilation naturelle, la conception bioclimatique vise à rendre les tissus urbains perméables à la brise, afin de dissiper la chaleur et d’améliorer le ressenti thermique estival.

Mais la maladaptation peut se nourrir des mêmes ingrédients. Végétaliser massivement, blanchir sans discernement ou accroître aveuglément la vitesse du vent peut augmenter la vulnérabilité urbaine. Planter des arbres exige ressources et entretien, et leurs bénéfices ne sont réels qu’à maturité, avec des essences adaptées au contexte urbain et climatique et un emplacement pertinent. Une mortalité précoce équivaut à un gaspillage des ressources mobilisées pour accompagner le développement de la plante, et une implantation mal conçue peut générer plus de désavantages que d’avantages : émissions biogéniques, baisse de la ventilation locale, concentration accrue de polluants, réduction de la décharge thermique nocturne des surfaces urbaines sous la canopée. De même, un revêtement clair, qui réfléchit le rayonnement non absorbé, peut éblouir et aggraver le stress thermique des piétons malgré une baisse de la température de l’air. Le vent lui-même n’échappe pas à cette ambivalence : source de fraîcheur en climat tempéré, il devient pénalisant lorsque l’air dépasse 40 °C, en accélérant l’échange thermique avec un milieu plus chaud que le corps humain.

Un geste conçu pour soigner peut ainsi se révéler un mirage de résilience, en augmentant la vulnérabilité réelle derrière l’illusion de la réduire. Comme adaptation et maladaptation reposent sur les mêmes ingrédients, l’enjeu n’est pas dans la quantité, mais dans l’art du dosage et du discernement, en fonction de la localisation et des temporalités visées.

Les Grecs anciens avaient un mot qui incarne la complexité de cette ambiguïté : pharmakon. À la fois remède et poison, il ne désigne pas, chez Platon, un objet, mais une opération qui déplace un mal. Ainsi, des stratégies efficaces en été peuvent fragiliser l’hiver en augmentant les besoins de chauffage et l’empreinte carbone. Soigner implique toujours un risque, et tout acte de protection mal calibré peut devenir une menace. Le pharmakon nous enseigne qu’il n’existe pas de potion miracle pour réussir l’adaptation des territoires aux dérèglements climatiques. La préservation de l’habitabilité des villes de demain repose sur une alchimie fragile, qui exige ingénierie et recherche scientifique pour calibrer les actions de soin selon le contexte, afin d’éviter l’apparition d’effets secondaires indésirables.

  • Contribution

    Issue du livre "Les 101 Mots de l'Adaptation, à l'usage de tous", sous la direction de l'Atelier Franck Boutté

  • Titre

    Pharmakon

  • Auteur

    Matteo Migliari, expert référent en biométéorologie et microclimatologie urbaine à l'Atelier Franck Boutté

  • Éditeur

    Archibooks

  • Date de publication

    2025

  • Pages

    176 pages

  • Illustration

    Sébastien Hascoët